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17 janvier 2010 7 17 /01 /janvier /2010 12:05




couverture

GASTON DES CARRETTES
________________________

Chapitre
Premier

 

* * *

Gaspard ou la Révolution

 

En cette belle fin d’après-midi de juillet 1797, un soleil radieux illumine de ses derniers rayons les coteaux dominant la vallée du Rhône, à l’extrémité orientale de la province du Languedoc. Du haut de ses huit ans, bien campé sur une roche plate émergeant d’un massif de lavande sauvage, les jambes écartées et les deux mains posées sur les hanches, Gaston pour la énième fois, contemple le paysage étendu à ses pieds, qui s’offre à son regard. Une légère Tramontane caresse ses cheveux blond vénitien, tombant en longues mèches claires sur ses jeunes épaules.

L’enfant est vêtu d’une chemise de toile écrue, d’un gilet de velours couleur châtaigne, d’une culotte de même trame, usée au postérieur ainsi qu’aux genoux et fermée par deux gros boutons de cuivre au-dessus de ses mollets, nus et bronzés par le soleil. Une vieille paire de galoches et une pèlerine, toutes deux pour l’instant suspendues à une branche d’olivier, à quelques pas de lui, constituent la seule fortune du gamin. De ses yeux à moitié clos par des paupières aux cils fins et longs, ne laissant apparaître que deux iris verts, nuancés par moments de reflets gris, l’enfant observe l’horizon. Tout au fond de ce paysage champêtre, à douze lieues[1] de là, se dresse une immense montagne, pareille à un volcan éteint depuis des millénaires, dominant de toute sa hauteur, de l’autre côté du grand fleuve argenté, les vallées et les coteaux recouverts de garrigue et de parcelles de vignes. Prés de son versant nord,une ligne de crêtes semblables à des dentelles grises paraît jouer,en ces instants, avec les rayons du soleil miroitant sur ses roches, les parant de mille reflets aux couleurs crépusculaires où dominent le violet et le rose

L’enfant étend le bras et de ses doigts fins et longs, s’amuse à caresser en imagination, les contours des roches, puis vient poser son index, tel le doigt d’un géant, sur le sommet blanc et caillouteux du mont provençal.

Joseph, l’ancien berger du mas des Carrettes, lui a enseigné un jour, alors qu’il gardait les brebis avec lui, que cette montagne s’appelait le mont Ventoux et que les terres de l’autre côté du Rhône étaient la propriété du pape[2]. De son promontoire, Gaston contemple le fleuve s’écoulant lentement en de multiples bras, entourant les islons et déposant au passage ses riches alluvions aux îles de Miémart. Poursuivant sa course, il vient caresser de son onde le village des Tourelles et son imposant château féodal. Celui-ci, perché sur son rocher, est en partie en ruines depuis les guerres de religion, il y a deux siècles de cela. Jadis château royal dans lequel, dit-on, le premier des papes d’Avignon vint mourir, frappé par la maladie ou peut-être, par la malédiction du dernier des grands maîtres du Temple, la vieille carcasse de roche graniteuse vit ses derniers moments et fait encore planer son ombre menaçante sur le village tout en veillant jalousement sur l’octroi du commerce fluvial. Une haute tour carrée, érigée au sommet d’un roc, comme pour atteindre le ciel, semble en cet instant, faire un parfait équilibre avec une autre tour, ronde celle-là, à l’ouest, à l’autre extrémité du village, tout en haut du rocher de Saint Jean, tels deux piliers antiques, soutenant la voûte des cieux. Continuant sa course, il va, enveloppant de ses bras puissants le château de l’Hers, dressé sur son île, tel un ancien galion fendant les flots, pour s’étendre ensuite, large et majestueux, sous les remparts d’Avignon, à quelques lieues de là.

Son attention est à présent attirée par le vol d’un héron, au dessus du fleuve. L’échassier tournoie plusieurs fois au dessus des eaux, puis, avec de grands battements d’ailes, pose élégamment ses longues pattes dans les marais bordant le fleuve. Arrêtant là ses rêveries, Gaston pivote sur ses pieds nus et d’un saut, atterrit au bas de la roche lui servant d’observatoire de fortune. D’un rapide coup d’oeil, il s’aperçoit que ses brebis se sont éloignées et broutent sur le flanc d’un vallon, prés d’un champ d’épeautre[3] . Décrochant au passage ses effets et son bâton, il se dirige vers ses bêtes quand, à cet instant, il reconnaît une fine silhouette familière au milieu d’une sente, à une centaine de toises[4] et son visage s’éclaire d’un sourire.


Extrait du roman "Gaston des Carrettes" de Christian Allier. Tous droits réservés de l'auteur.

[1] Ancienne mesure de distance qui valait au XVIIIe  siècle, suivant les régions, aux environs de 4 à 5 km.

[2] Le vieux berger ne savait pas que le Comtat Venaissin avait été annexé par la République Française en 1791.

 

[3] Blé antique.

[4] Mesure de longueur égale à 6 pieds. ( à Paris 1m 949 )

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