L'étrange confession
Chapitre I
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Un village à la campagne
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En cette fin d’automne 1959, André Rouvier était curé de la paroisse de Roquemaure. Ce village, chef lieu de canton gardois d’environ trois mille habitants, se situe entre la rive droite du Rhône et les premiers contreforts de la garigue Nîmoise.
Il avait eu ses heures de gloire au cours des siècles précédents, avec une population en majorité composée d’agriculteurs et de vignerons bien plus importante qu’au début de ce récit.
En effet, l’exode rural, dû aux problèmes de la vigne et du phylloxéra, survenus vers la fin du XIXe siècle, un peu avant la guerre de 1870, sans oublier la disparition de la culture de la garance et celle du ver à soie, avaient fortement contribué au déclin de sa population.
A présent, on sait qu’il suffit de greffer des cépages de Grenache, Syra, Mouvèdre, Cinsault et autres crus sur des plans d’origine américaine, cicatrisant sans problème, pour vaincre le mal. C’est ainsi que le fameux vin de « La Côte du Rhône » fut sauvé.
Mais, surtout, la grande faucheuse de vie humaines que fût la première guerre mondiale, celle de 1914-1918 n’avait pas encore, à cette époque moissonné le champ de blé de sa jeunesse locale, tombé sous la mitraille et la terrible grippe espagnole, qui frappa à la même époque toute l’Europe, n’avait pas encore atteint les individus de tout âge terrassés au fond de leur lit par le terrible virus.
La longue liste des noms de ses jeunes héros, apposées sur le monument aux morts, érigé au sud de la grande place du village, atteste encore aujourd’hui de cette hémorragie et par cela de la folie des hommes.
C’est ainsi, qu’en cette fin des années cinquante, le mildiou de la vigne avait remplacé depuis longtemps le puceron ravageur. La plus grande préoccupation des paysans étant comme toujours le mauvais temps et la mévente de leurs récoltes. L’épée de Damoclès restait constamment suspendue sur leurs têtes. La meilleure preuve en fût donné avec les terribles gelé de l’hiver 1956 qui détruisirent une grande partie des oliviers de la région.
Malgré toutes ces vicissitudes, bon an, mal an, le village recommençait à prospérer. Surtout, depuis l’implantation en 1955, à quelques kilomètres de Roquemaure, du Centre d’Energie Atomique de Marcoule. Le village avait ainsi bénéficié, presque malgré lui au départ, de l’apport d’un certain nombre de familles provenant de la région parisienne ou de Bretagne. « La pile atomique » comme l’on disait, avait généré l’emploi de nombreux jeunes autochtones. Clairvoyants ou opportunistes s’étaient fait embaucher, souvent au grand dam de leurs parents, artisans, commerçants et surtout agriculteurs, mettant un terme à leur espoir de voir leur progéniture reprendre la suite de leurs activités.
Ils devenaient ainsi ce que certaines mauvaises langues appelaient avec un fond de jalousie dans la voix des « marcoulins ».
Depuis longtemps, dans le village, on ne parlait plus de la guerre d’Indochine et la défaite de Diên Biên Phu commençait à s’évaporer des mémoires.
En Algérie, il y avait bien les « Evénements »…comme l’on disait dans la presse, à la radio, sur les transistors et bien entendu sur l’unique chaîne de télévision en noir et blanc. Mais, c’était de l’autre côté de la Méditerranée et seuls les visages des parents ayant un enfant « là-bas » reflétaient l’angoisse et l’incertitude. Chez les médias de l’époque, on parlait pudiquement de pacification. Pour beaucoup d’écoliers, les préfectures d’Alger, d’Oran ou de Constantine donnaient vie à une imagination débordante composée de palmiers, de sable et de dromadaires. Dans les écoles, des lithographies représentant le Duc d’Aumale et Abdel Kader étaient accrochées, pour peu de temps encore, aux murs peints à la chaux des classes communales.
Le village avait ses rituels incontournables, rythmée par le son des cloches de l’église, marquant chaque étape de la journée.
Tous les matins, pour de nombreux villageois, la vie s’articulait autour du marché agricole quotidien. Il fallait voir, en ce temps là, les lourds et dociles chevaux de trait aux robes grises ou baie, avec des sabots larges comme des assiettes, tirant leurs attelages peints de couleur verte, bleu charron ou simplement au bois patiné par l’usage et les intempéries, côtoyer les mulets aux pied sûr et au robes noire et feux, la tête haute et l’œil vif, harnachés de cuir et portant un lourd coulas de crin autour du coup.
Arrivaient aussi les moins fortunés, poussant leur carriole à bras ou tirant sur la longe d’un âne portant le bât. Tous ces attelages, jardinières, charrettes, tombereaux et autres moyens de transport, étaient chargés de fruits, de légumes ou de céréales, suivant la saison et la clémence du temps.
Tout ce monde attendait avec impatience le roulement de tambour effectué par le garde champêtre annonçant l’ouverture officielle du marché agricole quotidien.
Extrait du Roman de Christian Allier.-L’étrange confession- Tous droits réservés de l’auteur.